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Entre passé colonial et actualité écologique, l’animisme en tension

L’animisme existerait depuis la nuit des temps. Mais, à lire la pensée écologique actuelle, il émerge comme une religion nouvelle. Peut-être parce que les temps redeviennent nuit, suggère Baptiste Morizot dans L’Inexploré (Wildproject, 2023). Le philosophe du vivant soutient que la crise écologique fait imploser le cadre mental de la modernité occidentale, et son « naturalisme » séparant radicalement la nature et l’humain : nous entrerions dans un nouveau « temps mythique » où « se renégocient nos relations au monde », laissant imaginer un « espace suspendu, dans lequel animisme et naturalisme ne sont plus face à face, mais côte à côte ». Le naturalisme serait même déjà englouti, insinue Achille Mbembe. Dans La Communauté terrestre (La Découverte, 2023), le philosophe camerounais affirme : « La marque essentielle du début du XXIe siècle est le basculement dans l’animisme. »
Cette ferveur pour l’animisme a saisi Alice Lefilleul, qui a mené sur le sujet une thèse en littérature comparée à la Sorbonne, entre 2014 et 2018. C’est dans cet intervalle qu’elle a assisté à son surgissement : « Au fur et à mesure de mon travail, j’ai été saisie par la montée en puissance de cette notion sous l’effet de l’intensification de la crise climatique et de l’essor de l’écologie politique. » Tout à coup, l’animisme s’est mis à labelliser une « ontologie » désirable, autrement dit une manière d’être au monde de certains peuples humains. Le soubassement de cette mutation est aujourd’hui balisé : qualifié de « tournant ontologique de l’anthropologie », ce virage a pour matrice l’ouvrage Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005), dans lequel Philippe Descola récapitule en un célèbre tableau les quatre « ontologies » possibles des sociétés humaines.
Le naturalisme singularisant l’Occident n’a soudain plus rien d’universel, mais ne serait qu’un rapport au monde parmi d’autres avec l’animisme, l’analogisme et le totémisme. Cet animisme, propre à certains peuples d’Amazonie qu’il a étudiés, se caractérise, selon Philippe Descola, par une « ressemblance des intériorités » par-delà les dissemblances physiques. Tous les organismes – végétaux, humains, animaux – partageraient de la sorte une essence similaire. Une telle acception rappelle l’étymologie de ce terme issu du latin anima (« âme »), qu’une définition générique renvoie à la croyance aux âmes et aux esprits, et que d’autres grands anthropologues contemporains nourrissant les pensées de l’écologie ont aussi mis au centre de leurs travaux – ainsi du Brésilien Eduardo Viveiros de Castro, du Britannique Tim Ingold ou du Canadien Eduardo Kohn.
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